jeudi 5 novembre 2009

UN RÊVE APPELÉ ARVIDA


Cette «ville de compagnie» modèle, maintenant intégrée à Jonquière, devait incarner à la fois la nouvelle démocratie urbaine et la magnificence de l'Aluminum Company of CanadaElle devait s'imposer comme la troisième ville du Québe. Une ville planifiée à la rangée d'arbres près, pensée, voulue. Aucune perspective, la plus petite galerie, le moindre décrochement de façade ou le plus obscur virage ne devaient être laissés au hasard. Arvida, ville nouvelle fondée en 1925 mais fusionnée aujourd'hui à Jonquière, devait incarner la grandeur et la magnificence de l'Aluminium Company of America (ALCOA). Lucie K. Morisset, chercheure au Centre d'études interdisciplinaires sur les lettres, les arts et les traditions des francophones en Amérique du Nord (CÉLAT), a étudié de près le plan de l'architecte new-yorkais Harry Beardslee Brainerd, qui créait de toutes pièces cette ville nouvelle incarnant à ses yeux l'alliance de la beauté et des principes modernes de circulation et d'hygiène, et surtout sa réalisation.

Symbole à la fois du pouvoir de l'industrie et des connaissance des Beaux-Arts, le centre-ville d'Arvida apparaissait monumental, sur le papier, afin de mettre en valeur les institutions de la cité et leur perspective d'approche. Le plan de l'architecte devait devenir un véhicule de promotion pour la compagnie qui prévoyait le publier dans des revues d'architecture, le diffuser sous forme d'affiches, multiplier les dessins des pespectives. Alcoa, dont les tentacules s'étendaient jusqu'en Europe et au Japon, avait une vision véritablement «mégalomane» de la ville en devenir. Ses dirigeants rêvaient d'une métropole industrielle, dont le coeur battrait autour d'une usine géante, une aluminerie intégrée avec extraction de la bauxite sur place et reliée au reste du monde par un port avec un mouillage en eau profonde.Le premier chantier préfabriqué.

Les débuts d'Arvida furent conformes à ce goût affiché pour la démesure: 270 maisons construites en 135 jours, grâce à la pré-fabrication des éléments de structure. Selon les prévisions, 50 000 personnes habiteraient bientôt dans la ville nouvelle. Soucieux du bien-être de leurs employés, les patrons de la multinationale américaine projetaient d'ailleurs de loger leurs ouvriers dans des maisons individuelles, entourées d'un terrain, selon les normes qui seraient en vigueur en Amérique du Nord plus de vingt ans plus tard. Mais ce bel élan allait se heurter à des obstacles de taille: les démêlés d'Alcoa avec la justice américaine et la crise de 1929. «Soupconnée de monopole, l'entreprise a dû créer Alcan et lui céder ses propriétés étrangères, dont Arvida, explique Lucie K. Morisset. Les producteurs ont alors d'autres chats à fouetter que la promotion d'une belle image urbaine. D'autant plus que la crise économique amène une interruption de la production jusqu'en 1932-1933.»

La guerre donne par contre un coup de fouet à l'usine qui fournit de l'aluminium au monde entier. La ville reprend son essor, passant de 2 000 à 10 000 habitants, mais le plan d'ensemble initial ne répond plus aux exigences de l'heure.Du dessin à la réalisationLes axes perspectifs de l'architecte Brainerd et ses coûteuses places monumentales cèdent le pas à des axes de circulation plus fonctionnels et mieux adaptés au passage d'automobiles. Avec la naissance des banlieues, les rues s'élargissent tandis que les trottoirs disparaissent. «Arvida incarne véritablement la première ville nouvelle démocratique puisque le logement des ouvriers se confond avec celui des employés», note l'historienne en architecture.

Dans un livre paru chez Boréal, Villes industrielles planifiées, Lucie K. Morisset précise que la ville voulait présenter un paysage uniforme. Les distinctions entre classes sociales s'opéraient donc non sur l'aspect extérieur de la demeure, mais son confort intérieur. Deux maisons de dimensions à peu près semblables pouvaient donc comporter une division des pièces différente, plus conforme au rang social de ses occupants, ou disposer d'un système de chauffage plus ou moins performant.Selon Lucie K. Morisset, Arvida devient au fil des ans un foyer de l'architecture régionaliste, par opposition au courant internationaliste fondé par Le Corbusier, où les matériaux standard servent à la construction de bâtiments dans n'importe quel pays. Parallèlement à la montée du sentiment identitaire dans les années 40, l'architecture des nouvelles constructions arvidiennes se tourne vers le passé et la tradition. Ainsi, une église se veut une réplique d'un monument du XIXe siècle, mais son intérieur en béton témoigne de son appartenance plus contemporaine. Jusqu'au désengagement d'Alcan dans le paysage d'Arvida, la plupart des bâtiments érigés alternent entre une architecture moderniste et une autre plus traditionnelle.

Près de 20 000 habitants habitent aujourd'hui ce quartier intégré à Jonquière depuis 1975. La plupart du temps, les occupants des maisons les ont achetées à Alcan et les entretiennent avec fierté. Mais la chercheure au CÉLAT craint les ravages provoquées par les vendeurs de matériaux. Certains marchands réussissent ainsi à convaincre les propriétaires de recouvrir leur demeure de déclin de vinyle, des planches diagonales qui imitent le bois. Lucie K. Morisset a donc proposé à la municipalité de Jonquière un plan de sauvegarde et de mise en valeur de ce bijou de planification, unique en Amérique du Nord.

Pascale Guéricolas

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